Retour à la page : Les magasins de Toulon
La maison des frères Bellon était située juste à côté des Établissements Bertrand, rue Jean Jaurès (devenue rue Jules Muraire dit Raimu) mais elle était plus proche de la place du Théâtre. Les Bellon tout comme les Bertrand, étaient originaires des Hautes Alpes.
Carte postale- Sur la photo on aperçoit les lettres LON, un fragment de l'enseigne du magasin Bellon à côté du magasin "Au Gant d'or", au coin de la rue Charles Poncy. Remarquer la foule dense qui se presse dans la rue Raimu où se trouvaient également des boulangeries-pâtisseries. II est difficile d'imaginer de nos jours à quel point ces magasins étaient pris d'assaut par les clients et surtout les clientes. |
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Photo Jacques Visconti 20 novembre 2013- Le même endroit vu de nos jours, avec l'emplacement de l'ancien magasin Au Gant d'or et Bellon un peu plus loin. |
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Photo Jacques Visconti 20 novembre 2013 - Ceci est l'emplacement de l'ancien magasin Bellon. |
Jacques Visconti se souvient : "La densité des passants dans ce boyau étroit qui reliait la place Puget à celle du Théâtre (place Victor Hugo) était telle à certaines heures de la journée qu'il était impossible réellement de passer sans faire du sur place et jouer des coudes.
Bertand frères était à l'origine une boutique,comme Bellon, spécialisée en beurres et fromages. Toutefois si le magasin des frères Bellon est resté une trés bonne boutique spécialisée en produits laitiers plus fins, Bertrand frères est devenu une trés grosse affaire de produits laitiers, de charcuterie, de viandes et de produits traiteur. Je me rappelle les queues du dimanche matin devant les étalages de choucroute,de grosses meules d'emmental ou de mottes de beurre...."
Il y avait une autre famille de haut alpins , fromagers à Toulon c'étaient les Bernard qui avaient 2 beaux et importants magasins dans cette spécialité, l'un rue Émile Zola (pratiquement en face des Dragées Zovar, enseigne très connue à Toulon....cafés,chocolats,dragées,bonbons,confiseries) et l'autre rue des Orfévres.
Dans une ville aussi densément peuplé de Bretons que Toulon (Marine et port de guerre expliquant cela), il était donc normal que les produits du pays armoricain fussent dignement représentés. Ce commerce était situé au coin du cours Lafayette et de la rue Paul Lendrin. L'entrée principale était rue Paul Lendrin et il y avait une autre entrée par la rue Alézard.
Carte postale ancienne - Au coin de la rue Paul Lendrin et de la rue de Lorgues, la Maison G. Chanal vendait déjà beurre-oeufs et fromages. |
Carte postale éditions Léo- années 60-70 - Cette fois, c'est le magasin "Aux Produits bretons" qui se tient à cet emplacement sous le store à damiers. |
Ce commerce se situait dans le bout de rue qui va de la place Vincent Raspail (place des Halles) à la rue des Boucheries. La belle fromagère qui tenait la boutique était une dame assez "enveloppée". Quand on tient un commerce qui vend d'aussi bonnes choses, il est vrai qu' "il vaut mieux faire envie que pitié". Ca donne confiance au client.
Nous nous intéressons à ce commerce de Beurre.Oeufs.Fromages qui était renommé à Toulon dans les années 60 à 82 environ et qui a fermé depuis.
Au tout début du 20ème siècle, il existait déjà un magasin nommé "Entrepôt d'oeufs frais" situé au N° 22 de la rue Alézard. Comme on peut le voir sur la carte postale ci-dessus, il affichait sur sa devanture : spécialité d'oeufs frais de tous pays, de Toulouse, des Alpes et de pays et livraison à domicile. |
Le magasin "Aux oeufs frais" qui nous intéresse ici, devait probablement exister depuis la fin des années 50 (pas encore d'infos sur le sujet) mais était-il dérivé directement de l'entrepôt vu sur la photo ou est-ce un nouveau commerce n'ayant aucun rapport, je n'ai aucune information à ce sujet. Le N° n'était pas le même car sauf erreur le magasin "Aux oeufs frais" était situé au N° 82 de la rue Alézard et non au 22. Cette petite rue très commerçante est bien connue des Toulonnais, elle se situe à droite en descendant le cours Lafayette juste après la rue Paul Lendrin (le petit cours Lafayette). Elle se termine au croisement avec l'impasse Baudin. La boutique "Aux oeufs frais" faisait le coin avec la place Vincent Raspail et la ruelle qui faisait communiquer cette partie de la rue Alézard avec les halles. Le magasin possédait une entrée rue Alézard et une entrée place Vincent Raspail.
Initialement, ce commerce était spécialisé dans la vente de beurre, oeufs et fromage. Plus tard il se diversifia. Le commerce appartenait à Madame Zunino fille de Monsieur Sanchis qui était alors dans le commerce de la banane et des oeufs. Pendant 13 ans entre 1969 et 1982, la gérance du magasin fut assurée par par Madame Chantal Gontard dont le père, Paul Gontard avait racheté aux Zunino, leur affaire de gros qui était installée Tour du Mûrier, jusqu'à la création du marché de gros de Sainte-Musse.
Paul Gontard était lui-même un grossiste en fruits et légumes très connu en région toulonnaise, il était également importateur de fruits secs, noix, amandes, figues, dattes etc...et des olives, ce qui créait un peu de friction avec ses nombreux clients du marché qui disaient qu'il faisait des prix à sa fille.
A l'origine, Paul Gontard tenait un magasin de détail de fruits et légumes nommé "Chez Paul", situé au Mourillon, place Monseigneur Didier, la famille Gontard quant à elle habitait rue Lamalgue. Pendant toutes ces années sous la férule de Chantal Gontard, le magasin prospéra, "Il y eut jusqu'à six personnes pour servir, on ne chômait pas !" raconte Catherine Gontard, la soeur de Chantal qui rajoute : "j'ai travaillé un peu avec elle, nous faisions des étalages spectaculaires qui prenaient tout le trottoir". Elle ajoute : "peut-être pour faire concurrence à Muratore, on vendait également des harengs saurs, des sardines au sel, de la poutargue .....On fabriquait également du croustignious, des clients venaient de tout le département pour s'en fournir."
Tout le monde ne connaît pas la poutargue ou le croustignious, loin s'en faut, aussi une petite explication s'impose : sur la poutargue, Jacques Visconti nous dit qu'elle est faite avec des oeufs de poisson, du mulet (le muge des Provençaux) enrobés dans une poche de parafine. Ca se râpe sur des toasts pour l'apéro.C'est délicieux mais très cher." C'est un peu le caviar provençal si j'ai bien compris.
Quant au croustignious ou croustignou, c'est vraiment l'art d'accomoder les restes...de fromages. C'est un terme provençal qui désigne une préparation ménagère de Haute-Provence dans laquelle, il entre tous les restes de fromages de chèvre et de brebis découpés, broyés et réduits en pâte que l'on dépose dans une "pignate" (une grosse marmite en terre) avec de l'ail, de l'eau-de-vie de marc et du vinaigre. On attend que tout soit bien fondu avant de servir. Certains l'appellent le cachat, d'autres la cachaille ou le fromage fort...
Catherine Gontard nous en dit plus sur le croustignious servi dans son magasin : "Il était composé de tous les restes fromagers : les coins invendables, la partie sèche du fromage à la coupe (pour qu'il soit plus présentable), le tout macéré dans du marc dans une grande jarre en terre (la grande jarre provençale des jardins),on rajoute le fromage au fur et à mesure et on le remue tous les jours. Le tout fermente. Il y avait des amateurs pour le consommer et d'autres pour la pêche (comme appât)."
Le produit se vendait dans un bocal de verre et se "dégustait" sur des tartines de pain si possible arrosées d'un vin rouge bien charpenté pour atténuer le goût on ne peut plus "piquant" de cette mixture. On ne peut s'empêcher ici de se remémorer la scène culte des "Bronzés font du ski" obligés de déguster la "foune" chez les paysans montagnards qui avaient sauvé le groupe, perdu lors d'une randonnée. La "foune" est une spécialité fromagère certes imaginaire mais très inspirée par le cachat, la cachaille, le fromage fort et autres croustignous...
Après le départ de Chantal Gontard pour l'Afrique, le magasin ferma et ne rouvrit jamais en tant que commerce de B.O.F, il y'eut plus tard à son emplacement, un chocolatier qui ferma également. Le centre Mayol s'installa et on connaît la suite et ses incidences sur la "mort du petit commerce" en centre-ville.
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Photo R.Le Corff - avril 1996 tirée d'un film vidéo au format HI8 - L'enseigne de Muratore était alors bien visible sur la façade et au-dessus de l'entrée. |
La maison Muratore était située tout en bas à droite en descendant le cours Lafayette au numéro 100. A l'époque qui nous intéresse, c'était essentiellement un commerce d'oeufs puis de volailles et de beurres et fromages. Une rôtisserie du même nom avait pris la suite mais de nos jours tout est fermé. Il semble bien que les Muratore aient vendu leur commerce dans les années 90.
La famille Muratore est d'origine Italienne, muratore c'est celui qui construit les murs donc le maçon. Ils sont arrivés en France au début du 20ème siècle, ils furent longtemps les "rois de la banane". les Muratore étaient maraîchers et sillonnaient les marchés de Toulon et bien entendu avaient leur emplacement sur le cours Lafayette. Le premier magasin a été fondé en 1925 par une tante Muratore. Muratore a toujours été une référence pour les vieux Toulonnais qui venaient s'y approvisionner en volailles dodues, notamment pour les fêtes .
Au temps du père Muratore avant la 2ème guerre mondiale, ils étaient les fournisseurs exclusifs de la Marine pour les oeufs. Compte-tenu de l'importance de la Marine d'alors, on peut difficilement imaginer le nombre d'oeufs qui lui était fournie journellement !
"Les rois de la banane" : Effectivement comme il est mentionné plus haut, un frère ou un cousin germain avait un trés important dépôt de bananes à La Garde et une flotte conséquente de camions semi-remorques avec lesquels il ravitaillait l'Allemagne (entre autres). Au retour les semis ramenaient des chargements de meules d'emmental bavarois qui étaient vendues dans le magasin du cours Lafayette.
Dans les années 60 et les suivantes, le magasin était exploité par monsieur Muratore, un vrai bourreau de travail et par son épouse qui se tenait à la caisse,était vraiment une affaire trés importante et certainement trés rentable, jouissant de sa position sur le cours et d'une forte clientéle fidélisée par la qualité des produits et la personnalité sympathique des Muratore.
En fait le magasin n'était pas trés grand, tout en longueur,d'un côté le rayon volailles oeufs,en face de l'autre côté le rayon fromage.Le passage entre les deux rayons tout en longueur. Il y avait une porte à l'autre bout donnant sur la rue Albert par laquelle livraient les fournisseurs.
Photo Jacques Visconti 14 mars 2014 - La maison Muratore prise en 2014 avec un rideau fermé mais c'était seulement pour cause de congés. |
La Société Laitière Moderne est née au début du 20ème siècle; avant la 1ère guerre mondiale, elle se spécialise dans l'approvisionnement en lait de la population lyonnaise et de la Côte d'Azur. À Lyon, elle commercialise le lait à travers un réseau de 90 magasins à l'enseigne du Bon lait. Elle a ouvert de nombreuses succursales dans des villes du Midi et du Sud-Est de la France. Quoique magasins succursales comme les CASINO ou les COOP, ils étaient exclusivement des magasins de vente BOF, et il y en avait partout dans Toulon aussi bien dans le centre ville que dans les quartiers et les faubourgs. En 1969, la société cède ses filiales de production laitière aux groupes coopératifs Orlac et France Lait.
Les magasins Bon lait étaient tenus par leur maison mère à respecter une excellente hygiène bien normalisée, les murs du magasin étaient revêtus de carreaux de faïence blancs et les vendeuses portaient une blouse blanche. Les produits frais arrivaient très régulièrement par camions isothermes.
Pour ma part je garde le souvenir précis de celui du quartier de La Serinette où étant minot, j'accompagnais ma mère lorsqu'elle allait faire ses courses dans les années 50 et 60. "Le Bon Lait" était situé juste à côté de la boulangerie, sur le côté gauche de l'avenue de la Serinette en montant . Il était petit et tenu par 2 charmantes dames déjà d'un certain âge, je crois savoir que la patronne s'appelait Madame Blanc, un nom prédestiné lorsqu'on vend du lait. On y coupait le beurre dans une énorme motte avec 2 bâtons reliés par un fil d'acier, les bouteilles de lait et les pots de yaourt Benoît devenus plus tard Chambourcy, étaient encore en verre) .
Carte postale : quartier de La Loubière : Un magasin Le Bon lait fait face à la boulangerie. |
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Carte postale Gai Soleil - Au milieu des années 60, au rond-point Bon rencontre, on aperçoit à droite le store rayé de bleu et blanc caractéristique d'un magasin Le Bon lait. Autour du rond-point, les voitures typiques de l'époque : ce qui pourrait être une 4 CV Renault décapotable couleur bordeaux puis une 404 Peugeot bleue et une 403 Peugeot beige. |
qui vendaient des BOF étaient nombreux, parmi eux, il faut y inclure les grands magasins tels que Priséco et Toulona qui avaient chacun un important rayon alimentaire et les produits laitiers y tenaient une bonne place. Le rayon produits frais chez Toulona était à l'étage par lequel on accédait au moyen de l'escalier roulant. Citons aussi les petits Casinos, les petits Coops et la majorité des épiceries de quartier...
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Remerciements : Tous mes chaleureux remerciements à Jacques Visconti pour son aide précieuse et ses souvenirs sur les magasins de Toulon et à Catherine Gontard pour ses souvenirs sur le magasin "Aux oeufs frais".
Sources : - Photos Jacques Visconti - Cartes postales anciennes - Montage d'après une photo de Arnaud 25 publiée dans le domaine public sur Wikipédia Commons - Article sur les BOF dans Wikipédia. - La documentation sur Bertand frères est tirée en grande partie du livre de Pierre-Yves Laugier, "L'anthologie des 57S" dont un extrait est publié sur le site Bugatti book. - La documentation sur la famille Muratore provient d'un article de Pascale Autran : "La cade, retours aux sources" et le site : La cade à Dédé. et des souvenirs de Jacques Visconti. Sur le Bon Lait : "Le lait, la vache et le citadin du XVIIe au XXe siècle" par Pierre-Olivier Fanica.
© Roland Le Corff 2013 - Page créée le 11/10/2013- Version du 07/03/2021