Avant de retracer l'historique des tramways de Toulon, il me paraît nécessaire de faire auparavant un bref rappel de la naissance et des développements de ce mode de transport :
Vers le milieu du 19ème siècle, l'industrialisation nouvelle dépeupla les campagnes, les populations des villes par le simple principe des vases communicants, explosèrent ce qui posa de nombreux problèmes. L'insertion des nouveaux citadins devint la première préoccupation des municipalités.
Les terrains libres et d'un prix abordable se trouvaient dans la proche ou lointaine banlieue, les quartiers extra-muros connurent un développement rapide. Éloignés de la ville et des centres d'activités, les déplacements journaliers de leurs habitants exigeaient des transports en commun dignes de ce nom.
Au début, les quelques diligences desservant les villages périphériques ne suffisent plus à drainer le flot toujours croissant de la population laborieuse provenant des banlieues populaires; les omnibus à chevaux firent alors leur apparition.
En 1825, un ancien colonel de l'armée française, Stanislas Baudry, eut l'idée de mettre en service à Nantes, des véhicules dérivés des dilligences qui pouvaient accueillir une quinzaine de passagers y compris un receveur. Au début, ils étaient destinés à acheminer ses clients entre le centre de Nantes et l'établissement de bains chauds qu'il possédait en banlieue. S'apercevant que de nombreux banlieusards empruntaient également ses voitures, il étendit son service à tout le monde ( l'expression prend ici tout son sens)
Son terminus du centre-ville était situé devant une boutique à l'enseigne : "Omnès, omnibus", un jeu de mots basé sur le nom du patron de la boutique M. Omnès et sur le mot latin omnibus, signifiant "Tout pour tous, pour tout le monde" en clair : Omnès pour tous ! ( d'après Jean.Robert, histoire des transports dans les villes de France -1974) Évidemment, seuls les latinistes pouvaient saisir la subtilité du jeu de mots, à l'époque. "Terminus, omnibus, autobus, pedibus" le latin est décidément omniprésent dans les transports( et oui, "omni" qui vient du latin qui est décidément partout : bis repetita, et cetera)
Le jeu de mots fut vite oublié et Baudry eut l'idée de baptiser sa ligne de ce nom; on ne parla bientôt plus que d'omnibus pour désigner les véhicules. (Notons que le mot s'emploie également pour désigner un train qui s'arrête à toutes les gares d'une même ligne)
Photo R. Le Corff - (Musée de l'AMTUIR -1994) - Le Car Ripert, de son nom complet Tram Omnibus Car Ripert, inventé et fabriqué par le carrossier marseillais Antoine Ripert à partir de 1870, était un type d'omnibus à chevaux sans impériale. Il fut très répandu jusqu'en 1900. Ce car Ripert, de la ville de Toulouse fut mis en service en 1881 sur la ligne Capitole -Saint-Michel. (Cliquer pour agrandir) |
Photo Jamiecat (Sur Fickr) reprise sur Wikipedia - licence CC 20 - Car Ripert 1881 (Cliquer pour agrandir) |
Photo R. Le Corff -(Musée de l'AMTUIR -1994) - Cet omnibus parisien à impériale à chevaux, modèle 1889 appartenait à la Compagnie Générale des Omnibus de Paris. |
Photo R. Le Corff -(Musée de l'AMTUIR -1994) - Le même vu sous un autre angle. Cet omnibus desservait la ligne Place Wagram -Bastille . (Cliquer sur les photos pour les agrandir) |
L'ancêtre du tramway a été inventé en 1775 par l'anglais John Outram (qui aurait inspiré le mot tram qui ajouté au mot way signifiant voie, donnera tramway); ce véhicule de transport en commun, tiré par 2 chevaux, circulait sur deux files de rails en fonte mais il ne fut pas exploité en ville. En 1832, John Stephenson construisit le premier tramway urbain à New York entre le haut de Manhattan et Harlem.
C'est le Français, Alphonse Loubat, originaire de Nantes qui inventa en 1862 les rail à gorges, encastrés dans la chaussée. Loubat connut un succès immédiat avec son invention car auparavant, les rails en saillie sur la chaussée présentaient d'énormes inconvénients pour les autres véhicules, notamment les charrettes, fiacres etc..Loubat construisit la ligne de la 6ème avenue à New York en 1852; en 1853 ce fut le tour de Paris entre la place de la Concorde et Saint-Cloud.
Photo AMTUIR : Ci-dessus le tramway à chevaux datant de 1894 à Neuchâtel en Suisse pris lors d'une reconstitution dans les rues de la ville. Cliquer pour agrandir |
Les tramways à chevaux se multiplièrent et eurent un grand succès cependant les inconvénients étaient multiples : le rayon d'action était limité car un cheval, ça se fatigue. Les animaux ne pouvaient parcourir qu'une vingtaine de kms par jour et il leur fallait un repos toutes les heures ( la charge était lourde à tirer malgré l'avantage d'un roulement sur rails ). De plus, pour les loger, les nourrir, les soigner, il fallait des écuries, des palefreniers, du fourrage et des soins vétérinaires : tout cela était fort onéreux à la longue.
Par dessus le marché, se rajoutait le problème du crottin qui salissait les rues mais faisait cependant le bonheur des jardiniers et des concierges qui le ramassaient qui pour fertiliser leurs légumes, qui pour avoir de belles fleurs à la maison. Des premiers essais de tramways mécaniques furent tentés à Paris en 1876 : des locomotives à vapeur, Harding et la motrice Mékarski à air comprimé ( voir fiche technique sur les trams de Nantes)
Le premier vrai tramway sera présenté par Werner Siemens à l'exposition de Berlin en 1881, un peu plus tard, la première ligne de tramway électrique vraiment opérationnelle fut construite en 1888 par l'américain Frank Julian Sprague ( ligne de 27 kms à Richmond en Virginie) 10 ans plus tard, 40.000 voitures circulaient aux États-Unis. En France, la première motrice électrique a circulé à Clermont-Ferrand le 7 janvier 1890.
Un nouveau métier était né : wattman c'est-à-dire conducteur de tramway; le Watt étant l'unité servant à exprimer la puissance électrique, celui qui la maîtrise grâce à sa manette d'accélération s'est vu qualifier tout naturellement de wattman.
Ci-dessous un poste de conduite avec la manette d'accélération à gauche (appelée aussi contrôleur ou controller) où l'on voit bien les plots servant de repères; à droite probablement le frein à air comprimé puis un appareil de mesure électrique ( ampèremètre peut-être ?)
|
Photo R. Le Corff - Poste de conduite d'une motrice Marseille série B 1903 au MPTUR |
D'autres termes anglais sont employés dès le début du tram électrique : le mot trolley désigne en anglais un chariot soit dans les mines soit dans les gares pour le transport des bagages. Il s'applique au système de captage à l'aide d'une perche montée sur une platine pivotante et qui s'adapte sur un fil électrique aérien par l'intermédiaire d'un capteur à gorges. A l'origine le captage du courant s'effectuait grâce à une roulette.Les systèmes de trolleys les plus connus étaient fournis par Dickinson, Blackwell, Bisson-Begès, Goenaga (voir dessin ci-dessous). Le terme de trolley a donné le mot trolleybus.
|
Doc CNUM - Schéma du système de perche Goenaga pour tramways |
Le mot truck signifie également chariot ou wagon, il désigne le châssis supportant la caisse et comportant les roues et les suspensions du tramway; il faut bien savoir que ces roues ne sont pas directionnelles mais fixes, l'empattement, c'est à dire la distance d'axe en axe des roues doit être assez réduit à cause des courbes de la voie. (voir dessin ci-dessous)
|
Source : Grace's Guide To British Industrial History - Schéma d'un truck de tramway Peckham (1893) avec ressorts à lames et ressorts à boudins (dits aussi hélicoïdaux) |
Les trains de roues étant en ligne droite, un truck trop long sur une voie au rayon très serré ne pourrait pas négocier le virage; à l'usage les tramways à truck fatiguent donc beaucoup les voies. voir dessin ci-dessous
|
On peut donner l'exemple du bas de la rue d'Alger à Toulon où se trouvait une voie en courbe en "S" d'un rayon de 14 m. Ce point de la ligne ne permettait pas le passage de voitures ayant plus de 2 m d'empattement.
Tous les tramways de la première génération furent équipés de trucks, en France cela dura jusque vers 1938 ( voir fiche sur Dijon)
Les bogies, issus de la technologie ferroviaire américaine, sont eux parfaitement directionnels, chacun est formé en général de 4 roues montés sur un solide bloc équipé de ressorts pour la suspension et lui-même articulé sur un pivot central; des véhicules ainsi équipés permettent de négocier parfaitement les courbes même resserrées et offrent un confort très supérieur. Les véhicules à bogies peuvent ainsi être équipés d'une caisse beaucoup plus longue et il en est de même pour les remorques; la capacité en voyageurs s'en trouve fortement augmentée. Tous les tramways modernes conservent cette technique qui s'est généralisée peu avant la guerre de 39-45. voir dessin ci-dessous
L'électricité ne présentait que des avantages, les installations se multiplièrent rejetant définitivement les chevaux, leurs écuries, leur foin et leurs palefreniers dans l'oubli; le modernisme était en marche et rien ne pourrait désormais l'arrêter . Le tramway prit une place grandissante dans tous les pays développés de la planète.
La régression des tramways débuta juste après la fin de la guerre de 39-45 et s'accentua au début des années 50; progressivement, tous les réseaux de France sont démantelés et seules subsistent quelques lignes.
Au début, le trolleybus et surtout l'autobus (qui lui au moins ne nécessite aucun fil électrique jugé disgracieux) règlent définitivement leur compte au pauvre vieux tramway à bout de souffle après des années de guerre, de manque d'entretien chronique, de pénurie de pièces et de voies détruites par les bombes ou les chenilles des chars d'assaut. Les réseaux au lendemain de la libération sont souvent dans un état lamentable et ce sera particulièrement le cas pour celui de Toulon. A l'époque, seules Marseille, Lille et Saint-Étienne maintiennent leurs tramways.
Nantes montrera le chemin du renouveau en janvier 1985 avec un tramway vraiment moderne, puis d'autres villes suivront : Grenoble puis en 1992 la ligne Bobigny-Saint-Denis dans la banlieue parisienne; tout cela va dans le bon sens cependant il y'a un effet pervers regrettable c'est la tendance des décideurs municipaux à vouloir faire disparaître les trolleybus dès qu'il y'a un projet de tramway; les 2 modes de transports sont tout à fait complémentaires et non concurrents. Grenoble vient ainsi de sacrifier ses trolleybus.
Par ailleurs le coût de mise en place d'une ligne de tramways n'a rien à voir avec celui d'une ligne de trolleybus, le tram exige un site propre exempt de toute autre circulation; le trolleybus s'insère dans la circulation presqu'aussi facilement qu'un autobus. Le coût de la mise en place d'une ligne de trams est astronomique.
Si vous aussi, vous possédez des photos de tramways anciens en couleurs, merci par avance de bien vouloir m'envoyer vos photos, je les publierai volontiers avec votre accord et l'indication de l'auteur et un lien vers le site Internet s'il en existe un.
L'immense majorité des renseignements et photos sur les tramways provient de l'ouvrage suivant : "1880-1980 Un siècle de transports en commun dans l'agglomération toulonnaise" par Gabriel Bonnafoux (†) et Albert Clavel, paru en 1985 à compte d'auteur; imprimé par les Presses de l'Atelier du Beausset - 83330 Le Beausset.( épuisé et difficile à trouver)
Photos RMTT et STVG : Tout d'abord un immense merci à Yohan Keller (ASBTP : Association pour la Sauvegarde des Bus Toulonnais et Provençaux, site : https://asbtp83asso.jimdofree.com/ pour les magnifiques photos qu'il m'a transmises. Certaines sont de Philippe Benoît ou de Mr Giraud.
Jean Robert (†) " Histoire des Transports dans les Villes de France" édité à compte d'auteur en 1974 - épuisé ( Jean Robert fut l'un des fondateurs de l'AMTUIR) - La photo de la motrice série D d'origine RATVM est tirée du livre de Jean Robert.
Wikipedia pour l'article sur les anciens tramways de Marseille - Documentation de la CGFT ( Compagnie générale française de Tramways). - Photo Motrice série D N°646 scannée par Claude Villetaneuse sur Wikipédia.
CNUM : Conservatoire Numérique des Arts et Métiers.
Autres photos: collection personnelle de cartes postales de Roland Le Corff dont certaines issues de la collection de Renaud Sémadéni (Toulon)
Musée de l'AMTUIR : http://www.amtuir.org/ Merci à Thierry Assa, secrétaire de l'AMTUIR qui m'a autorisé à utiliser des photos provenant de la collection du musée.
Photo R. Le Corff prise au MPTUR
© Roland Le Corff 2003 - créée le 06/07/2003 - version du 28/04/2021