La fin des tramways est traitée sur 2 pages : page 1 le dernier tramway vu par la presse page 2 la fin des tramways vue par Gabriel Bonnafoux
L'aventure des tramways toulonnais s'arrêta définitivement le vendredi 15 avril 1955 sur la ligne N° 6 desservant les Routes. En ce triste jour d'avril 1955, le journal Toulon-Soir titra sous la photo "Adieu et pour toujours" et en effet tous les véhicules furent ferraillés sans pitié ni remords aussitôt rentrés au dépôt de Brunet mais leur enterrement se fit en musique, accompagné par la fanfare de la RMTT.
Il faut lire la presse de l'époque, il semble que l'on attendait avec une grande impatience la disparition du dernier tramway afin de donner le champ libre aux trolleybus et aux autobus de la RMTT mais n'oublions pas les automobiles qui allaient se tailler la part belle. On avait hâte de pouvoir goudronner le boulevard de Strasbourg après l'enlèvement des rails encastrés dans les pavés. Voir la légende "croustillante" de la photo ci-dessous : à lui seul, le malheureux tramway était censé embouteiller tout le boulevard de Strasbourg !! Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage, n'est-ce pas ?
Remarquer que cette motrice n'était pas de couleur jaune paille avec le haut de caisse blanc mais semblait d'un gris assez foncé pour ce qui concerne le bas de la caisse, le pavillon et l'encadrement du parebrise étant quant à eux de couleur claire (voir la vraie couleur des tramways toulonnais)
Collection Albert Clavel - Dans le journal "Le Provençal" N° 3364 du 25 août 1954. Cliquer pour agrandir |
Pas un seul responsable de l'époque n'eût l'idée de proposer la préservation d'au moins une motrice, on ne peut que le regretter amèrement. Il faut se remettre dans le contexte de l'époque : les tramways étaient tellement arrivés au bout du rouleau que tout le monde avait hâte de s'en débarasser. Voir l'histoire de la motrice série B N° 315 qui faillit être sauvegardée par l'AMTUIR (Musée des Transports) et hélas fut ferraillée en 1952.
Dans d'autres villes, certains ont eu cette intelligence et cette clairvoyance; il suffit de voir ce qu'a fait l'AMITRAM à Lille qui fait encore rouler pour le plus grand plaisir des nostalgiques mais aussi des jeunes qui n'ont jamais connu ce mode de transport, quelques vénérables tramways sur une voie de 2 kms ( Une motrice N° 5 de Fribourg datant de juin 1900, une motrice N° 420 du Mongy de 1911 et une motrice N° 74 de Neuchâtel de 1920). D'autres tramways ont été préservés par l'AMTUIR, par le MPTUR et certainement par bien d'autres...Outre Manche, les Britanniques sont absolument exemplaires dans la conservation des véhicules anciens que ce soit trains, tramways, autobus ou trolleybus, un exemple à suivre par les frenchies...
Photo Toulon-Soir - Coll. Gabriel Bonnafoux - La légende de la photo dit : " La foule se presse autour de celui qui lui rendit tant de services et qui sous les acclamations, fait son dernier itinéraire" - Le 15 avril 1955, sur la ligne N° 6, c'est la triste fin pour les dernières motrices Carde N° 107, 125 et 127 en état de délabrement fort avancé. Les caisses n'ont visiblement pas vu la peinture fraîche depuis des lustres, c'était la misère pour ne pas dire la dèche ! (Cliquer pour agrandir) |
Photo Philippe Benoît - coll. ASBTP - Le 15 avril 1955, c'est la fin pour cette Tisy N° 99 et pour tous les autres tramways du réseau de Toulon. Cliquer pour agrandir) |
Il y avait foule ce soir-là dans le dernier tramway pour les Routes sur la ligne N° 6 (voir § sur cette ligne). Au pied de la motrice Tisy N° 99, mains dans les poches, le wattman avec sa casquette à moins qu'il ne s'agisse du receveur, pose pour la photo souvenir. On devine une grande émotion dans son regard surpris par le flash du photographe de Toulon-Soir. Même si l'outil de travail était inconfortable et obsolète, il y a sûrement un brin de tristesse car c'est la fin d'une époque.
Ce seront principalement des Carde qui circuleront pour la dernière journée de service sur le réseau toulonnais ( les 3 motrices numérotées 107, 125 et 127 circuleront attelées les unes aux autres), la Carde N° 119 circulera également au cours de la journée ainsi que la Tisy N° 99.
À 16 heures précises en ce vendredi 15 avril 1955, le dernier convoi formé de 3 motrices Carde, prend le départ; les riverains regardent passer les vieilles voitures pavoisées avec une pointe de nostalgie. Sur la place Bouzigue, au quartier des Routes, une foule attend. La clique de la RMTT, conduite par son chef M. Fédérol, est au grand complet. Le convoi arrive et aussitôt éclate la musique.
En face, garés sur la boucle aménagée à cet effet, 4 autobus Chausson APH attendent pour prendre la relève. Les personnalités sont là :M. Ottoz, PDG, M. Guillemaud : administrateur, M. Lièvre: directeur et M. Yvan: ingénieur d'exploitation. Le Maire, Maître Édouard Le Bellegou, le 1er adjoint: Maître Béguin et les membres du conseil municipal ainsi que M. Kerguelen, président du CIL.
Après un discours d'usage, les personnalités montent dans les autobus qui les conduisent au dépôt de Brunet où un apéritif d'honneur leur est servi. Les vieux trams reprennent le chemin du dépôt où le chalumeau les attend.
Toutes les motrices et les remorques furent détruites sans exception, seules les cartes postales et quelques rares maquettes perpétuent leur souvenir.
Il faut savoir que les lignes tramways de Toulon n'ont pas été supprimées d'un seul coup, cela s'est fait progressivement.
1936 : Sur la ligne 1, le tronçon de ligne du pont de l'Escaillon à Ollioules n'est plus exploité, victime de la mise en place d'autobus concurrents du tramway. Il est remis en exploitation en 1940 pour cause d'économies en temps de guerre et les vieilles Schuckert datant de 1897 reprennent du service mais pour peu de temps car elles sont trop vétustes et dangereuses.
1943 : Les dégâts de la 2ème guerre mondiale portèrent un coup terrible aux tramways toulonnais : Le 24 novembre 1943 à 13 heures 10, un terrible bombardement met à mal le pittoresque quartier du Mourillon et les vieux quartiers du port, c'est le premier effectué par les alliés ( voir la page sur Toulon). Sont touchés: le boulevard Bazeilles ( connu pour sa caserne de l'infanterie de Marine), les rues Castel, Castillon, Lamalgue, le quartier populaire de Besagne.
La ligne de tramways N° 3 subit de tels dommages qu'elle ne pourra jamais être remise en circulation. Le 26 août 1944, c'est le défilé de la libération sur le boulevard de Strasbourg, le cauchemar est terminé pour la ville meurtrie et ses habitants.( 50 000 environ seulement sont restés sur plus de 150 000), maintenant il faut penser à reconstruire; les dégâts sont immenses et les moyens de transports, notamment les tramways, en fort piteux état : voies détruites, motrices et remorques délabrées ou obsolètes par leur âge déjà fort avancé.
Suite aux destructions subies par la ligne de tramways du Mourillon, le conseil municipal étudie au cours de sa réunion de décembre 1944 un projet de reconstruction des 9 lignes du réseau avec une exploitation par trolleybus. La ligne N° 3 allant du Mourillon au centre de Toulon est prioritaire, la RMTT la met en service par trolleybus le 7 mai 1949.
1949 : Les tramways desservant La ligne de La Seyne cessent leur activité pour cause de déficit et de concurrence avec les autobus notamment ceux de la compagnie Etoile.
1954 : La ligne de trolleybus N° 1 est mise en service le 1er septembre 1954 mettant ainsi fin à la circulation des tramways entre L'Escaillon et La Valette. Les bifilaires ont été installés en 2 étapes : dans un premier temps la ligne a fonctionné par trolleybus entre la gare SNCF et La Valette.
Pendant ce temps là, les tramways assuraient encore le service sur la ligne N° 2 située entre la rue de Lorgues (près de Noël Blache) et L'Escaillon. Ce sont les motrices SAFT numérotées de 133 à 143 qui assurent le service jusqu'au 1er septembre 1954 date de la jonction de la ligne de trolleybus entre l'Est et l'Ouest. Très bizarrement ce sont les plus belles motrices, les plus récentes du réseau (23 ans quand même !) qui cessèrent en premier leur activité.
Carte postale colorisée coll Bernard Carruesco- La SAFT N°133 passe sur le bd de Strasbourg ( Au fond, on aperçoit la Chambre de commerce et d'industrie avec son horloge. (Cliquer pour agrandir) |
Mon ami Jacques Visconti m'a déniché une fois de plus, un précieux document lors de ses pérégrinations aux archives de Toulon, sur les prémices de la disparition des tramways : il s'agit d'un article publié le lundi 5 juillet 1954 dans le quotidien République de Toulon intitulé : "Dans quelques jours, le tramway aura vécu" signé Raoul Noilletas. Le journaliste décrit avec beaucoup de poésie son dernier voyage sur la plate-forme avant d'une motrice sur la ligne des Routes. Il n'hésite pas à écrire que ce bon vieux tram sera regretté et il vante son charme, le décrivant ainsi : "Notre antique tramway est l'ultime flâneur des longs chemins" et il conclut son article en écrivant : "Vous verrez que vous regretterez un jour le tram, ce grand calomnié, dernier poète boulevardier à 4 roues."
On peut découvrir au tout début de l'article, cette phrase édifiante du maire de l'époque, Maître Édouard Le Bellégou qui se réjouissait ainsi : "Le tram est condamné à mort et le 20 juillet il sera conduit au cimetière de la ferraille sans discours."
Décidément, bien avant Hubert Falco, les maires de Toulon avaient déjà une sacrée dent contre les tramways. Très curieusement, cette déclaration du maire et cet article de République, laissent penser que le dernier voyage des tramways aurait lieu le 20 juillet 1954 or il n'en fut rien puisque la date ultime fut celle du 15 avril 1955 soit 9 mois plus tard. On peut imaginer que du retard fut pris dans l'installation des lignes électriques pour les trolleybus. Après tout, nous étions dans l'immédiate après-guerre et encore en pleine reconstruction. Pour mémoire, l'ensemble des immeubles du port surnommé "La frontale" ne fut achevée qu'en 1954.
Cette époque était très troublée comme on peut le constater sur la une du journal, nous étions à la fin de la guerre d'Indochine et les accords issus de la conférence de Genève mettront fin officiellement à la guerre le 25 juillet 1954. On peut lire également le gros titre sur la terrible catastrophe ferroviaire du 3 juillet 1954 qui eut lieu à Châteaubourg en Ardèche, entre l'autorail Lyon-Nîmes et un train de marchandises suite à une erreur d'aiguillage (35 morts). Pour teminer ce survol de la une, voici un rappel de la coupe du monde de football 1954 avec la finale du 3 juillet à Berne qui se solda par la victoire de l'Allemagne (la RFA à l'époque) contre la Hongrie sur le score de 3 buts à 2.
Voici le témoignage de Jacques Visconti qui confirme que le tram de la ligne N° 6 a bien vécu jusqu'en 1955 : "Enfin je te confirme avoir pris le tramway ligne 6, le quatriéme trimestre 54 et le premier trimestre 55 avec ma classe de 6ème et le prof de Gym pour aller à ce que l'on appelait alors "Plein Air" une aprés-midi par semaine."
Le tramway aurait du renaître de ses cendres à Toulon, le projet était bien avancé avec les premiers travaux sur la plate-forme et l'élargissement du pont de Saint-Jean du Var mais hélas, le projet est au point mort : priorité au 2ème tunnel de Toulon !
Le maire de Toulon, M. Hubert Falco a condamné définitivement le projet de tramway sur rails, voir la triste page : Le tramway à Toulon, c'est fini ! "Le maire, Hubert Falco condamne définitivement le projet de tramway à Toulon". Quelle funeste erreur !! Sa priorité était de de terminer la mise en place du 2ème tube du tunnel routier de Toulon pour désengorger la ville. C'est chose faite, depuis Il réfléchit à un projet du type Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) jugé beaucoup moins coûteux mais un BHNS ne remplacera jamais un vrai tramway.
Ce projet a entraîné une véritable levée de boucliers e la part des partisans du Tramway et une pétition a circulé sur le net recueillant de très nombreuses signatures.
En avril 2009, sur proposition de l'association Toulon Var Déplacements, différentes associations locales d'usagers et de promotion des modes de transports écologiques se regroupent pour défendre le choix du tramway sur fer comme TCSP. Ce "Collectif tramway" regroupe en particulier Toulon @ Venir, auteur d'un dossier comparatif détaillé tramway / BHNS, la FNAUT PACA, plusieurs Comités d'Intérêts Locaux, ainsi que des particuliers intéressés par la question. (source Wikipédia)
(*) Allusion humoristique au livre de Tennessee William (Un tramway nommé Désir) dont s'est inspiré Jean-Paul Rahon pour le titre de son ouvrage sur les Transports urbains (dont les tramways) de Saint-Étienne et de sa région : "Un désir nommé tramway 1881-1993" paru en 1993.
Photos RMTT et STVG : Tout d'abord un immense merci à Yohan Keller (ASBTP : Association pour la Sauvegarde des Bus Toulonnais et Provençaux, page Facebook : https://www.facebook.com/asbtp.toulon ) pour les magnifiques photos qu'il m'a transmises. Certaines sont de Philippe Benoît ou de Mr Giraud.
L'immense majorité des renseignements sur les tramways provient de l'ouvrage suivant : "1880-1980 Un siècle de transports en commun dans l'agglomération toulonnaise" par Gabriel Bonnafoux (†) et Albert Clavel, paru en 1985 à compte d'auteur; imprimé par les Presses de l'Atelier du Beausset - 83330 Le Beausset.( épuisé et difficile à trouver). Voir la biographie de Gabriel Bonnafoux et ses maquettes de tramways toulonnais
Collection Albert Clavel (extrait du journal Le Provençal)
Hélas parmi tous les passionnés qui ont permis de collecter les données historiques ou les photos qui illustrent ces pages, beaucoup nous ont quittés, les petites croix (†) figurant auprès de trés nombreux noms cités ci-dessous en témoignent hélas. Je dédie ces pages à leur mémoire en témoignage de ma reconnaissance.
Frédéric Durante († ARTM (Amis du Rail et des Transports de Marseille) - Claude Borderie († ) FACS Fédération des amis des chemins de fer secondaires
Jacques Laupies (†) et Roland Martin (†), Les tramways de Marseille ont cent ans, Tacussel éditeur, 2ème édition, 1990
Les données historiques sur les Ets Carde proviennent de Charge utile magazine N° 134, 135 et 136 sortis en 2004 et du site http://ruedupetittrain.free.fr/personnages/carde-gustave.htm
Jean Robert (†) " Histoire des Transports dans les Villes de France" édité à compte d'auteur en 1974 - épuisé ( Jean Robert fut l'un des fondateurs de l'AMTUIR) - Les photos signées Seeberger sont tirées du livre de Jean Robert.
Wikipedia pour l'article sur les établissements Blanc-Misseron- Documentation de la CGFT ( Compagnie générale française de Tramways, réseau de tramways du Havre) conservée aux archives de la ville du Havre.
Autres photos: collection personnelle de cartes postales de Roland Le Corff dont certaines issues de la collection de Renaud Sémadéni (Toulon) ou de Marius Bar - Merci également à Albert Clavel et à Jacques Visconti pour sa documentation d'époque et ses précieux souvenirs et à Jean-Louis Bobinec pour ses photos ainsi qu'à Bernard Carruesco : voir son excellent site sur les jetons de transport par tramways : Jacques Bérengier pour ses superbes maquettes de tramways.
Musée de l'AMTUIR : http://www.amtuir.org/ Merci à Thierry Assa, secrétaire de l'AMTUIR qui m'a autorisé à utiliser des photos provenant de la collection du musée.
© Roland Le Corff - créée le 09/06/2003 - version du 17/05/2021